Mais la ville nouvelle dEvry semble avoir un autre panier de crabes sales à laver. Le Magazine Une Ville, Ma Ville, rapporte notamment une vive controverse entre le maire et le quotidien Le Parisien. En septembre 1991, le quotidien révélait que Jacques Guyard, à lépoque Secrétaire dEtat à léducation technique du gouvernement Cresson était impliqué dans une vaste opération immobilière. Les journalistes décrivaient comment les enfants du maire avaient acheté plus de 300 hectares de terrain vague localisés entre la Seine et la voie ferrée à Vigneux, prévoyant dy faire bâtir un complexe résidentiel et industriel avec plus de 10 000 logements et autant de bureaux, par lintermédiaire dune société, la SAPC.
Or il apparaît soudain que la SAPC créée en 1991 dans lunique but dacheter ce terrain, a été fondée par la SOFIC alors que celle-ci appartenait encore à la CMR dirigée à lépoque par Jacques Guyard lui-même, alors Secrétaire dEtat à lEducation Technique. Seule ombre au tableau, la Constitution interdit expressément aux membres du gouvernement de diriger une société. Et à juste titre, car on imagine aisément quil serait tentant de profiter dune telle position pour spéculer.
Compte tenu de la gravité de laccusation, Jacques Guyard obtient la publication dun droit de réponse dans Le Parisien. Il déclare avoir démissionné de ses fonctions de PDG de la CMR à la fin de lannée 1990. Les journalistes continuent leur enquête et découvrent que le 25 janvier 1991, non seulement il apparaît encore dans la liste des membres du conseil dadministration du CMR, mais quil est noté de plus comme ayant assisté en personne à ce conseil. Quest-ce qui a poussé Jacques Guyard à mentir sciemment ce jour-là et ainsi se discréditer ? Malgré les articles du Parisien, aucune enquête officielle na été ouverte.
Dune certaine façon, il semble que chaque nouvelle affaire fasse oublier les précédentes. Le 16 février, Le Parisien publie un article intitulé Un scandale couve à la SEMEC (une société déconomie mixte) révélant que le juge dinstruction chargé de laffaire SAGES à Evry, après avoir mis Guyard en examen, se penche maintenant sur la SEMEC dans le cadre dune nouvelle procédure dinstruction. Au même moment, un autre juge dinstruction, M. Solaro, est aussi nommé pour enquêter sur la même société, qui gère
également les parkings de la ville.
Il est assez rare quune même société fasse lobjet de deux enquêtes pénales en même temps. Mais là aussi, plane lombre du soupçon et ces enquêtes auraient pu commencer bien plus tôt. Quelques années auparavant en effet, la SEMEC avait déjà attiré lattention de la Justice quand il fût découvert que les employés de la police municipale chargés de collecter largent des parcmètres gérés par cette société avaient détourné des sommes considérables. Cette situation révéla de nombreuses autres irrégularités, notamment celle davoir chargé la SEMEC de collecter largent des parcmètres alors que légalement cette mission ne pouvait être confiée quaux services fiscaux.
Alors que le maire dEvry se sortait in extremis de cette affaire une autre enquête administrative était aussitôt ouverte par la Cour Régionale des Comptes. Le rapport de cette haute autorité démontre que la SEMEC utilisait effectivement les services dune autre société, la SEPA, pour gérer les parcmètres de la ville, mais quen réalité la SEPA était dirigée par un directeur de la SANE et de la SEMEC.
Dautres irrégularités encore plus graves cependant ont retenu lattention des juges et du Parquet dEvry. Entre 1988 et 1992, la SEMEC a payé 2 200 000 francs à six employés de la SANE et de la Ville dEvry. Lorsque la Cour des comptes a demandé les preuves du travail effectué en échange de ces sommes, la municipalité sest trouvée dans lincapacité totale de fournir un rapport, une analyse ou des conclusions à ce sujet. Ce genre de paiement rappelle par trop dautres affaires découvertes dans la région du Nord-Pas-de-Calais ou plus récemment à Paris même.
Trois enquêtes furent ouvertes sur des sociétés créées par Jacques Guyard en lespace de trois ans. Dautres affaires similaires sont également en cours dans la région, à tel point quune association combattant la corruption déclarait à propos de lEssonne quil sagissait dune « zone sinistrée qui aurait besoin dune opération mains propres ». Le Monde à son tour, en Juillet 1996, expliquait les étranges relations nouées entre Jacques Guyard et certains élus de droite dans la région.
Lun des problèmes posé par ce genre daffaires et de la corruption en général, est quelles ont tendance à pourrir les cercles parlementaires en transformant les hommes politiques en victimes potentielles de chantage. Nous en sommes arrivés au point où le jeu politique lui-même est devenu synonyme déchange dinfluences, de pressions et de manuvres, et constitue une menace pour la démocratie. Il ny a quà lire les pages politiques de nos quotidiens pour sen convaincre.
A la lumière de ceci et sachant que la plupart des témoignages sur lesquels la commission sappuie proviennent des Renseignements Généraux (voir notre article intitulé Les spécialistes en religion du monde entier condamnent laction du Parlement ?), on est en droit de se demander quel crédit à apporter à ce rapport et à ses recommandations.
Cest à cette question que répondait récemment le professeur Jean Bauberot, directeur dun groupe de recherche du CNRS sur la sociologie des religions, une autorité mondiale incontestée dans ce domaine. Le sociologue fait remarquer que la commission Guyard ne sest basée que sur les témoignages dune vingtaine de personnes soigneusement triées sur le volet et dont aucune navait de qualifications en matière de religions, et qui plus est à huis clos et sous le couvert de lanonymat. Étrange approche en effet pour des gens qui accusent les autres davoir des choses à cacher, souligne Jean Bauberot. « Je suis choqué par le fonctionnement de cette commission » a-t-il simplement déclaré.
Mais le professeur Massimo Introvigne, directeur du centre détude des nouvelles religions à Turin en Italie, autre autorité internationalement respectée dans les affaires de religions, est allé plus loin encore en décrivant le rapport Guyard comme « une attaque incendiaire dirigée contre des centaines de groupes religieux engagés dans une quête spirituelle et animés dintentions tout à fait bienveillantes envers leurs prochains. Sans fondement, si ce ne sont les accusations non vérifiées de témoins anonymes, [ce rapport] incite à une chasse aux sorcières dirigée contre des innocents, un comble et une ironie quand on pense à la bannière sous laquelle la France aime à être reconnue dans le monde : liberté, égalité, fraternité ».
La corruption, et le doute quelle engendre dans la tête des citoyens envers les institutions, est effrayant pour lavenir. Il est quelquefois désespérant pour le citoyen de base davoir le sentiment que ses efforts consentis au nom de la solidarité ne servirait à enrichir que quelques malfrats en col blancs. Il y a de quoi douter de la possibilité de pouvoir compter un jour sur un gouvernement honnête et donc respectueux des libertés individuelles.
Ce sentiment est néanmoins trompeur. Les prévaricateurs, quel que soit leur parti, ne sont pas la majorité. Il suffit dobserver les actes : certains couvrent les faits délictueux dautres les combattent effectivement et travaillent, construisent, savent écouter et uvrent pour la majorité. Il est facile alors de savoir à qui lon doit apporter sa confiance.
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