Dans notre dernier numéro dÉthique & Liberté, nous expliquions comment le député Jacques Guyard, rapporteur de la récente Commission denquête parlementaire sur les nouveaux mouvements religieux, faisait lui-même lobjet denquêtes pour divers délits. Mais ce nétait quun début !
Le juge dinstruction Jean-Marie dHuy semble avoir des raisons de sintéresser au député de lEssonne : la corruption et le trafic dinfluence ne sont pas de petits délits dont on sacquitte par le simple paiement dune amende.
Dans ce cas, nous pouvons nous demander sérieusement comment Jacques Guyard a pu sériger en juge de la moralité dautrui en tant que rapporteur.
Cest dhonnêteté ou de son contraire dont nous devons parler et comment ceci sapplique à M. Guyard quand il modifie le contenu dun jugement du tribunal en vue dincriminer un nouveau mouvement religieux qui navait aucune raison de figurer dans son rapport. En effet, plusieurs jugements cités par le rapport Guyard sont interprétés comme une condamnation pour fraude fiscale de lÉglise de Scientologie alors que celle-ci na jamais été condamnée et encore moins pour ce motif.
Drapé dans son immunité parlementaire, Guyard savait quil ne risquait rien. Mais au-delà de lanecdote elle-même, lincident est surtout révélateur des méthodes employées par ce politicien pour arriver à ses fins.
Ceci explique certainement la controverse grandissante au sujet de ce rapport que beaucoup considèrent comme une menace pour les droits du citoyen et la prise de position de certains parlementaires qui très récemment dénonçaient aux moyens de questions écrites adressées au Gouvernement, les dangers de certaines mesures jugées discriminatoires.
ne revue électorale Une ville, ma ville publiée dans la région dEvry, dresse un intéressant inventaire des juteuses affaires de M. Jacques Guyard, député de la région.
Larticle commence par un bref rappel historique pour décrire les circonstances dans lesquelles Jacques Guyard fut mis en examen pour corruption et trafic dinfluence dans laffaire de la SAGES. On y rappelle comment Renaud Van Ruymbeke, célèbre conseiller de la Cour dappel de Rennes, après avoir effectué une perquisition très remarquée au siège du Parti Socialiste alors au pouvoir, fut en mesure de reconstituer le puzzle du réseau de financement occulte quavait mis au point le Président du bureau détudes de la SAGES.
Moins connue que laffaire Urba, lopération SAGES draina néanmoins quelques centaines de millions de francs dans les caisses des élus concernés.
Selon cette même revue, le juge Van Ruymbeke navait pas hésité pas à formuler des accusations précises contre Jacques Guyard : La SAGES et lARAVIS ont facturé des sommes considérables pour des marchés passés avec la ville dEvry. 9,5 millions de francs selon lestimation du juge. Ce dernier ajoute en outre que la SAGES a été facturée dun montant de 34 320 francs pour un voyage à Managua pour le compte de Jacques Guyard. Le Parisien a publié un document attestant que pour la seule rénovation des bâtiments de lHôtel de Ville dEvry, la SAGES a reçu la somme de 500 000 F. La note de Van Ruymbeke remonte à 1992.
On parle parfois de lenteur de la Justice : dans laffaire Guyard, par exemple, il aura fallu trois ans à la Justice pour réagir. Sagit-il dun mystère judiciaire ou du résultat dhabiles manuvres accompagnées dintervention politiques aux niveaux les plus élevés de lappareil de lEtat ?
On ne peut rien affirmer. Mais peu de temps après le changement de gouvernement, le magistrat Jean-Marie dHuy décide (en février 1995) denquêter sur la SANE (Société des Agglomérations Nouvelles dEvry), et de mettre en examen Jacques Guyard et François Bousquet (ancien président de la SANE) pour corruption et trafic dinfluence.
Dans une autre affaire, dont on parle moins, on retrouve Jacques Guyard qui, en 1982, crée le CILRIF (Comité Interprofessionnel de la Région dIle-de-France), et nomme à sa tête un de ses amis, Alexandre Moussa, le parrain de son fils, pour en assurer la gestion. Ce comité interprofessionnel, chargé de collecter la cotisation du 1 % patronal pour le logement social, encaisse environ 200 millions de francs en lespace dune dizaine dannées.
Mais après quelques temps, le CILRIF est soupçonné de détournement de fonds et lANPEC (Agence nationale, participation, emploi, effort construction) porte plainte. Cette plainte finalement consolidée par une autre déposée par un expert comptable provoquera louverture dune information judiciaire.
La revue Une ville, ma ville explique comment Guyard, en tant que président du CILRIF, aurait signé un contrat avec son ami Moussa, au titre duquel il acceptait de payer à ce dernier des indemnités jugées exorbitantes. Par la suite, lorsque Guyard devient ministre du gouvernement dEdith Cresson, il nomme un autre de ses amis, Alain Danet, le Maire dElancourt à la tête du CILRIF.
Alain Danet trouve alors un prétexte pour débarquer Moussa, et pour lui payer par la même occasion plusieurs millions de francs dindemnités. La police judiciaire décide de mener une enquête sur Moussa et Danet ; la défense de ce dernier se résume alors à affirmer que : « Ce montant navait pas été fixé par moi, mais négocié par lancien président du CIRLIF [Guyard] et accordé à lunanimité par le comité de direction avant que je ne le paye. »
Ceci ne fait que reporter la faute sur lancien président. Force est de reconnaître cependant que la réponse est logique et se demande-t-on pourquoi la justice sest contenté jusque là de limiter cette enquête à Alain Danet et Alexandre Moussa ?
Au départ de lenquète, le juge et la brigade financière de la PJ avaient beaucoup de questions. Les réponses ne tardèrent pas. Les enquêteurs découvrent que les fonctionnaires du logement social travaillent probablement très dur puisquils bénéficient davantages non négligeables. Ceci explique sans doute pourquoi Moussa avait pour voiture de fonction une Lancia dune valeur de 200 000 francs. Mais ce que les enquêteurs ont eu du mal à sexpliquer, cest comment le zélé directeur avait fait pour conserver cette voiture après son départ du CILRIF.
Cest probablement le manque de réponses satisfaisantes à cette question et à quelques autres qui ont poussé le juge à écrouer lancien directeur du CILRIF le 21 septembre 1994, pour ne le libérer que six mois plus tard, à lissue de la période de détention provisoire maximale.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette affaire est loin dêtre classée. La PJ enquête à présent sur une société créée par le CILRIF, Moussa, Guyard et ses enfants : les Constructeurs Modernes Réunis (CMR).
Lenquête révèle en effet que de grosses sommes ont été échangées entre les deux sociétés, et certains frais semblent mériter quelques éclaircissements. Que dire, en effet, dune somme de 270 000 francs pour un voyage de loisir pour une vingtaine de députés du PS en ex-URSS ? Quoi quil en soit, malgré ses lourdes pertes, la société semble navoir eu aucune difficulté à payer 512 000 francs à Moussa, ni 70 000 à la femme du président dune société de logements sociaux, ni 750 000 francs en primes diverses, et na pas hésité à payer 150 000 francs à Jacques Guyard lui-même sous la forme dune prime exceptionnelle.
Lenquête révèle aussi lexistence dun contrat commercial signé entre le fils de Jacques Guyard et un certain Patrick Finel, agissant comme rapporteur daffaires. Or, étrange coïncidence, Patrick Finel est justement le mari de Marie-Noëlle Lieneman, ministre du logement à lépoque des faits. Il y a aussi diverses sommes payées sur les comptes de Moussa et de Finel et que lexpert-comptable chargé de laudit de la société ne parvint jamais à expliquer.
Mais tout cela nous écarte sans doute du plus important : la CMR, une société qui nétait constituée à lorigine par un capital associatif (les fonds du CILRIF), prend un remarquable essor économique. Dabord, elle crée la GESSICA, une société de gestion immobilière, qui ensuite rachète une grande partie du capital de la CMR. Puis la CMR crée la SOFIC, qui, elle aussi, rachète peu après les parts restantes de la CMR et de la GESSICA. Finalement, contrairement à ce quon pourrait croire, les associations peuvent savérer très lucratives pour certaines personnes.
La SOFIC devient ensuite une holding constituée de la CMR,
de la GESSICA, de diverses sociétés civiles immobilières, et dun peu plus
dune vingtaine de sociétés déconomie mixte aux activités
diversifiées, disséminées dans les municipalités de gauche de la
région, et dans lesquelles la SOFIC a investi.
Curieusement, en 1994, tout seffondre.
Léventail des sociétés placées sous légide de la
SOFIC part en fumée : les entreprises déposent le bilan les unes après les autres et
toutes sont finalement prononcées en liquidation. La justice devrait peut être
sétonner de létrange coïncidence par laquelle toutes ces
sociétés font justement faillite au moment où débute une enquête sur
la CILRIF.
Mais cette affaire présente encore des zones dombre
qui nous réservent sans doute quelques belles surprises. Quand Éthique & Liberté a
demandé à examiner les bilans de cette immense holding immobilière
quest la SOFIC, il sest avéré quen fait aucun bilan ne fut
envoyé au Tribunal de commerce comme la loi lexige. Y avait-il quelque chose à
cacher ?
Jacques Guyard : Le depute de tous les Soupçons à suivre...
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