Encourager la compréhension et la tolérance
Un spécialiste québécois de renom partage son point de vue sur la tolérance envers la diversité religieuse.
Alain Bouchard
Professeur de science religieuse
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Il y a quelques mois, des experts des droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude face à une éventuelle tentative d’utiliser les événements terroristes pour restreindre nos droits et libertés. Cela se produit d’ailleurs dans certaines parties du monde et la liberté de religion en est souvent une des premières victimes. Depuis le 11 septembre 2001, des lois et règlements ayant pour but de limiter la liberté de religion ont été adoptés dans des pays connus pour leur intolérance sous prétexte que les terroristes constituaient une « cellule islamique ». Pourtant, les spécialistes religieux ont clairement indiqué que les terroristes impliqués dans les attentats de septembre dernier ne représentent pas plus La Mecque qu’ils ne représentent le Vatican.
Pour éviter que la peur et les préjugés générés par le terrorisme incitent à des actes de violation des droits constitutionnels des citoyens, les spécialistes recommandent une approche raisonnée du phénomène religieux, basée sur des informations exactes et une attitude de tolérance.
Une meilleure compréhension des religions est l’un des principaux objectifs de nombreux spécialistes universitaires au Québec dont plusieurs ont consacré leur carrière à enseigner et à écrire sur ce sujet. M. Alain Bouchard est l’un d’entre eux. Professeur de science religieuse au Collège de Sainte-Foy, il est aussi chargé de cours à l’Université Laval et à l’Université du Québec. Membre de plusieurs sociétés savantes, M. Alain Bouchard a été conférencier invité à des rencontres et des congrès scientifiques internationaux. M. Bouchard a bien voulu partager avec Justice & Liberté son point de vue sur le sujet de la tolérance à l’égard de la diversité religieuse, en débutant sur une note historique.
Jusqu’à la fin des années 1950, la présence de Témoins de Jéhovah où que ce soit au Québec dégénérait en conflits qui évoluaient le plus souvent en répression ou en persécution. Présents au Québec depuis 1909, les Témoins de Jéhovah subiront dès les débuts les attaques du clergé, des autorités municipales et de la police qui verront dans ce groupe une menace pour la foi et la sécurité publique. Durant les années 1920, on procédera à des arrestations sous des chefs d’accusation tels que : avoir publié des écrits diffamatoires et blasphématoires, conspiration séditieuse, violation de la loi du Jour du Seigneur, désordre social et sollicitation sans permis. Suite aux pressions de plusieurs représentants d’Églises chrétiennes, dont le chancelier de l’archidiocèse de Québec, le ministre de la Justice du gouvernement canadien, Ernest Lapointe, émet le 4 juillet 1940 un arrêté ministériel qui interdit les Témoins de Jéhovah.
Après la révocation de l’arrêté ministériel en 1943, on assiste à une intensification des attaques contre les Témoins de Jéhovah qui dégénèrent en incidents où la foule moleste et agresse des adeptes. En 1946, le Premier ministre Maurice Duplessis dénonce publiquement les écrits des Témoins de Jéhovah et demande à la Police provinciale de leur faire une guerre sans merci. Cette surenchère mènera à l’affaire Roncarelli qui se terminera par une victoire des Témoins de Jéhovah à la Cour suprême du Canada qui jettera les premiers jalons de ce qui deviendra la Charte des droits et libertés de la personne.
Cette histoire des Témoins de Jéhovah et de la répression des gouvernements de l’époque nous montre comment une campagne haineuse contre une minorité religieuse se développe dans un effet de boule de neige où contribuent différents acteurs tels les politiciens, les représentants religieux et des intellectuels dont les médias se font l’écho.
Après la décision de la Cour suprême en 1959, plusieurs pensaient que s’en était fini de l’intolérance religieuse au Québec. Ce n’est pourtant pas le cas. Il est surprenant que nous n’ayons pas appris de ces événements du passé et qu’encore aujourd’hui des organismes et des personnes diffusent de la propagande haineuse contre des minorités religieuses.
Tout comme dans le passé, des institutions utilisent le même type d’arguments pour stigmatiser des minorités. Le fond n’a pas changé mais la forme s’est modifiée. Les assemblées publiques sont remplacées par des battages médiatiques, les Églises sont devenues des associations de parents qui forment l’activisme antisectes, la violence n’est plus physique mais verbale. Somme toute, le climat n’a pas changé sauf que les protagonistes ont modernisé les accusations et les moyens d’attaque.
Le résultat est similaire : stigmatisation de minorités religieuses. Pour un certain segment de la population québécoise, il existe actuellement une inquiétude, voire un affolement, au sujet des religions nouvelles ou non conventionnelles. Cette peur s’est cristallisée dans l’utilisation du mot « secte » pour désigner tout groupe qui dérange et qui se démarque d’une norme sociale implicite. Nous parlons de perception, car les faits observés par les chercheurs en sciences humaines sur la question nous donnent une toute autre image du phénomène.
Ainsi, le rapport Hill, commandé par le gouvernement de l’Ontario en 1978 et déposé il y a maintenant 20 ans, a clairement affirmé qu’il était abusif de voir un danger lorsqu’on parle de sectes. À la question à savoir si ces groupes constituaient un danger pour la société nécessitant une législation protectrice, Hill répond par un non catégorique.
L’activisme antisectes est né aux États-Unis dans le contexte de la contre-culture des années 1960. Les parents de jeunes adultes qui avaient adhéré à des philosophies et des religions orientales étaient inquiets face à ce vent de changement qui soufflait sur le monde de l’époque. Le modèle d’interprétation qui se mit en place pour expliquer ces conversions consi-dérées soudaines et radicales fut le « lavage de cerveau ». Mais en plus de proposer un modèle simple, simpliste dirions-nous, qui présentait le phénomène de la conversion comme une recette magique, on proposait aussi une solution : la déprogrammation.
En réalité, la déprogrammation impliquait presque toujours le kidnapping et la séquestration. Ensuite, il arrivait que des voies de faits et des abus de toutes sortes soient perpétrés afin de briser la résistance du sujet et lui faire abandonner ses croyances religieuses. Il s’agissait bien entendu d’activités illégales, voire criminelles, et plusieurs déprogrammeurs ont d’ailleurs été condamnés par les tribunaux à des peines d’emprisonnement.
Heureusement, même au Québec, ces événements sordides sont pour l’essentiel de l’histoire ancienne.
Par contre, les activistes antisectes québécois qui prétendent informer la population ne font que colporter des émotions négatives en faisant particulièrement usage de mots tels « secte » pour désigner les nouveaux mouvements religieux. Le mot est constamment utilisé mais jamais clairement défini. Ils parlent de manipulation, de pouvoir et de structure mais les critères objectifs manquent. Ces activistes identifient une « secte » par des moyens simplistes : quelques histoires négatives provenant d’ex-membres ou de l’information critique basée sur des dénonciations.
Il est important de se poser la question suivante : les nouveaux mouvements religieux d’aujourd’hui deviendront-ils les salutistes de demain à qui nous donnerons nos vieux vêtements et notre argent pour les plus démunis de notre société ? Alors qu’aujourd’hui nous « lançons » à l’Armée du Salut nos dollars, dans les seaux qu’ils disposent dans les places publiques lors de la période de Noël, n’oublions pas que notre reconnaissance actuelle a été précédée de persécution et d’oppression et qu’il y a cent ans ce sont des pierres qui leur étaient lancées au Carré d’Youville.
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