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AI CONFIANCE, Monsieur le Président de la République, dans votre attachement à notre Constitution, et cest la raison pour laquelle jai pris la liberté de madresser à vous avant que lirréparable ne soit commis.
Lorsque jai appris le vote au Sénat, le 16 décembre dernier, dune nouvelle loi destinée à renforcer la « lutte contre les sectes », je me suis empressée de me procurer le rapport sur la proposition de loi, du sénateur Nicolas About, ainsi que le compte rendu des débats.
Ces pages me rappelèrent immédiatement quelque chose. Je ressortis le Louis XIV dErnest Lavisse, dans sa réédition de 1978 : « Dans lensemble des documents de notre histoire, se trouvent de honteuses pages. Cen est une que le préambule de lEdit de Révocation ». Que disait donc ce préambule du 16 octobre 1685 ? « (...) puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de la dite R.P.R. (note : Religion Prétendue Réformée) ont embrassé la Catholique ; et dautant quau moyen de ce, lexécution de lÉdit de Nantes (...) demeure inutile, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et des maux que le progrès de cette fausse religion a causé dans notre Royaume (...) que de révoquer entièrement le dit Edit ». En français moderne dans le contexte actuel, la même hypocrisie (Ernest Lavisse parle plusieurs fois de « pur mensonge » ) revient à affirmer que tout citoyen normal et sain desprit sait désormais que les sectes sont de « prétendues religions » et que cest donc en plein respect de la liberté religieuse quil faut les interdire pour mettre fin à ce qui trouble la République et les citoyens... Je viens de vous résumer le rapport About qui a servi dargumentation au vote du 16 décembre.
De honteuses pages...
Ce qui est fascinant, cest la similitude des configurations, presque le mimétisme, comme si cétait la même pièce de théâtre qui se jouait à trois siècles de distance, avec pour seul changement le décor et les costumes :
- la clôture de tout débat, avant même quil ait eu lieu, par le choix dun vocable péjoratif (du terme R.P.R. Religion Prétendue Réformée autrefois, à celui de secte aujourdhui).
- Largument majeur de fausse religion (bien sûr on est parfaitement tolérant pour la ou les vraies...).
- Le recours à une décision politique pour surmonter les décisions de Justice qui ne sont pas satisfaisantes (à lépoque les protestants se sont battus pied à pied pour le respect des termes de lÉdit de Nantes, il devenait donc nécessaire de le révoquer ; en décembre dernier lexcellent sénateur, Madame Derycke, sans doute très respectueuse de lÉtat de Droit, a encouragé le vote de la loi dans les termes suivants : « la dissolution, décision politique présente également lavantage de ne pas emprunter les voies judiciaires (…) (sic) ! »
La liste pourrait être prolongée à lenvi. Un minimum de culture historique sur le XVIIe siècle français, ou sur dautres tristes époques de persécution religieuse, montre que le vote de la loi du 16 décembre par le Sénat, obéit à un scénario malheureusement classique... les ficelles sont grosses, mais on les ressort à chaque fois et la suite est une tragédie.
La première des ficelles utilisées consiste à affirmer haut et fort quon lutte spécifiquement contre les prétendues religions. Evidemment !
Les Romains eux-mêmes, lorsquils massacrèrent de nombreux chrétiens, y compris dans les spectacles du cirque, ne le faisaient que parce que le christianisme nétait évidemment pas une religion, mais se cachait sous ce paravent. Le fait est que les Romains ont toléré toutes les religions en tous lieux, et ont même adopté de temps en temps lun ou lautre des dieux quils rencontraient lors de nouvelles conquêtes : le christianisme na été persécuté que parce que cette religion était trop nouvelle pour en être une, il sagissait donc dun mouvement subversif se cachant sous le label religieux... Plus tard dans une autre culture religieuse, lInquisition elle-même ne défendait-elle pas la vraie foi, lhérétique prétendant détenir ou enseigner la vérité mais poursuivant dautres objectifs ?
Parler de fausses ou prétendues religions tout en affirmant respecter la liberté de croyance relève de la comédie.
Mais il y a plus. On mesure bien en lisant le rapport About, lembarras de la commission des lois puisque tous les délits visés font déjà lobjet dun appareil législatif très complet. Plusieurs pages sont consacrées à ce paradoxe, qui est finalement résolu de façon magistrale : pourquoi une nouvelle loi ? Pour échapper aux contraintes de la Justice… par une législation dexception.
Ce nest plus une comédie, cest la tragédie dun État de Droit qui se transforme discrètement en État totalitaire, pour la bonne et simple raison que les juges nont pas compris le danger sournois qui menace notre pays...
Enfin, autre ficelle, agiter le spectre dun fléau présenté comme redoutable, puis faire une loi dont lobjet nest pas précisé. Cette loi du 16 décembre est un chef dœuvre à cet égard : le compte rendu analytique officiel du Sénat porte le titre « Lutte contre les sectes », mais rien dans les articles votés ne mentionne quoi que ce soit sur la nature des personnes morales visées. LÉtat totalitaire pourra donc lutter contre tout ce quil voudra, puisquune extraordinaire loi dexception lui permettra de passer au-dessus de la Justice pour dissoudre aisément toute association ou tout groupe. Et quadvient-il de notre Constitution ?
Une Constitution qui pourtant, sappuyait sur lexpérience de toutes les erreurs passées, sur lexpérience des honteuses pages de notre histoire. Mais peut-être la simple culture historique deviendra-t-elle à son tour un délit, pour que la boucle soit bouclée dans le meilleur des mondes de la démocratie ?
Jen appelle donc à vous, Monsieur le Président de la République, pour refuser de cautionner des mesures proposées par ceux qui voudraient nous faire croire que les « honteuses pages » davant le XXe siècle nont jamais été écrites.
Danièle Gounord
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