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n certain nombre dobservateurs ont relevé que le Département dÉtat se déclarait très préoccupé, depuis quelques années, par lévolution de la France en matière de liberté religieuse. Certes, plusieurs institutions européennes ont exprimé de façon très claire les mêmes inquiétudes.
Mais pourquoi les États-Unis ?
Nen déplaise aux exploiteurs de la fibre anti-américaine, la réponse est simple, vraiment toute simple.
En 1996, une liste des groupes « dangereux » a été établie très officiellement en France. Cette liste, destinée à définir et circonscrire les « prétendues religions » quil faut mettre hors détat de nuire, notamment parce quelle mettent les citoyens en « état de sujétion » (telle est donc lexpression définitive que lon cherchait depuis longtemps, et qui fut trouvée par les auteurs du projet de loi About-Picard), cette liste intègre les baptistes. Or, à lépoque de la publication, le président des États-Unis lui même, excusez-moi du peu, était un baptiste.
La démocratie américaine ne sest jamais sentie menacée par lappartenance de son président, Bill Clinton, à la religion baptiste, mais on comprend quelle se soit émue de la déclaration française dhostilité à tous les baptistes et autres agents sectaires... Comment la France aurait-elle réagi, à lépoque où le président De Gaulle ne manquait pas la messe du dimanche à Colombey-les-deux-Églises, si un pays proche avait créé très officiellement une sorte de MILS (Mission Interministérielle de lutte contre les Sectes) déclarant que tout catholique, pratiquant ou non, était un esprit faible en état de sujétion, manipulé à son insu par lappétit de pouvoir et dargent du Vatican ? Comment la France aurait-elle réagi si ce pays proche, après des déclarations aussi fracassantes et choquantes, avait entrepris de mettre au point une législation nouvelle pour terrasser, dans lintérêt des individus et de la société toute entière, cette « prétendue religion » ?
Cest exactement ce qui vient darriver à lOncle Sam. La liste des « sectes » contient de nombreux groupes religieux appartenant traditionnellement à la vie américaine, et du reste aussi à de nombreux pays de culture anglo-saxonne. Elle contient aussi des religions extrême-orientales respectées (je pense par exemple à lInde, dont une trentaine de députés se sont émus des déclarations françaises, parce que lune de leurs religions, deux fois plus ancienne que le christianisme, figure sur la fameuse liste noire, et se trouve donc directement visée par le projet de loi About-Picard).
Non, tout cela nest guère sérieux et cela frise même le grotesque. Le seul problème est quon ne peut en rire. Car cest la liberté qui est directement visée.
Les minorités religieuses sont sur le devant de la scène. Elles se battent avec énergie. Mais lenjeu est plus large, et nous le savons tous. Lattaque est habile, car les nouveaux courants spirituels ont de tout temps été à lavant-garde des mutations culturelles, et ont donc toujours accompagné un certain nombre dévolutions, dincertitudes, voire dinquiétudes, quil est tentant dexploiter pour promouvoir des mesures punitives à lencontre de boucs émissaires trop facilement désignés.
Mais en réalité, ce sont toutes les tendances de liberté qui sont visées. Le projet de loi About-Picard cite par exemple les courants thérapeutiques non-orthodoxes, alors que léquilibre entre la loi et la liberté est déjà parfaitement prévu par larsenal propre à lexercice illégal de la médecine.
Cest la liberté tout court qui est menacée par le biais de la liberté dassociation.
La preuve ?
Les auteurs du projet de loi sont tellement conscients que toute association est menacée par leur texte que, pour le proposer au vote des parlementaires, ils ont pris la précaution de préciser explicitement que les partis politiques ne seraient pas concernés. Aveu extraordinaire...
Les religions minoritaires se battent, parce quelles sont sur le front, au cœur de la bataille de la liberté individuelle qui commence par la liberté de croyance et dopinion. Mais ce nest pas seulement leur combat. Cest le vieux combat de la démocratie et de la liberté, une nouvelle fois menacée par une loi dexception.
Danièle Gounord
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