N CROYAIT que le fichage à grande échelle des citoyens appartenait au passé,
disparu avec la chute du mur de Berlin. Il nen est rien, puisquun
amendement à la loi de finances, proposé par Jean-Pierre Brard,
a été adopté par lAssemblée Nationale le 18 novembre dernier.
Ce texte autorise ladministration fiscale à utiliser le numéro
de Sécurité Sociale pour croiser tous les fichiers des organismes
sociaux (Sécu, Caisses dallocations, carte Vitale) avec les siens.
Cet amendement a été présenté aux députés à une heure tardive,
de façon à assurer un vote rapide et à éviter tout débat public,
et ce sous le prétexte de lutter contre la fraude fiscale. Or,
on le sait bien, et J.-P. Brard ne lignore pas, les gros fraudeurs
ne sont pas les particuliers.
De plus, cette astuce de procédure évitait de devoir demander
son avis à la Commission Informatique et Liberté (CNIL).
Les réactions ont été unanimes. Les syndicats des impôts CGT,
CFDT, et SNUI signaient avec la Ligue des droits de lhomme, la
CGT, la CFDT de lINSEE et deux autres collectifs dassociations
de défense des citoyens contre les fichiers, un texte dénonçant
« une mesure qui ouvre la voie à la constitution dun gigantesque
fichier inter-administratif sur la vie privée des citoyens. »
« Cet amendement est une atteinte grave à la liberté. Cest la
porte ouverte à linterconnexion des fichiers et au viol de la
vie privée », déclarait Henri Leclerc, Président de la Ligue des droits de lhomme,
qui nécarte pas lidée dappeler à une « insoumission civique ».
Le président de la CNIL, qui na pas été consultée, dénonce pour
sa part une volonté de rendre les citoyens transparents au regard de ladministration et une atteinte aux libertés. (Le Monde, 1/12/98).
Jean-Pierre Brard, sil défend la transparence à travers la loi
de fichage généralisé quil a fait voter à la sauvette, est par
contre, dans la pratique, partisan convaincu du secret. La commission
denquête parlementaire sur linfluence des groupes dits sectaires
dans les milieux économiques, dont il est rapporteur, travaille
dans une opacité totale. Elle a en effet choisi le régime du secret,
qui engage aussi bien ses membres que les personnes entendues
par la Commission, à garder le silence pendant 30 ans sous peine
de poursuites pénales.
Des données recueillies secrètement sur des mouvements choisis
arbitrairement y sont traitées à huis clos, sans aucun contrôle,
comme le prouve le questionnaire de 29 pages récemment adressé
à un certain nombre de personnes morales. Lassurance que les
informations ainsi recueillies seront traitées dans le respect
de la confidentialité établi par la loi du 6 janvier 1978 et garanti
par la CNIL ? La mention du droit daccès et de rectification
des données fausses qui pourraient figurer dans ces dossiers ?
Vous ne les trouverez nulle part.
Il est vrai que pour établir des listes noires de citoyens religieusement incorrects, il vaut mieux oublier aussi de les informer de leurs droits.