«L FAUT plus que jamais se défendre contre lÉtat ». Qui parle ainsi ? Une victime des RG ? Non. Cest lancienne vice-présidente1 de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés), justement
chargée de protéger les citoyens contre les atteintes à leur vie
privée. Cette opinion est largement partagée par bon nombre de
Français, que les différentes administrations dissèquent, enregistrent
et mettent en fiches.
Inquiétude justifiée, puisque lAssemblée Nationale a donné son
feu vert en novembre dernier à la création dun méga fichier,
dans lequel se retrouveront les données collectées par les douanes,
le fisc et la Direction générale de la comptabilité publique,
accessibles à tout fonctionnaire par la simple utilisation du
numéro de Sécurité Sociale. En dautres termes, nimporte quel
employé du fisc pourra appuyer sur un bouton et avoir accès à
toutes les informations concernant votre employeur, votre compte
en banque, votre carnet de santé, votre assurance-vie, votre passeport,
etc. Contre toute attente, la prédiction de Georges Orwell se
révèle donc exacte : Big Brother2 est parmi nous.
Depuis, la CNIL a donné son accord à la création dun autre énorme
fichier, celui de la police, accord que celle-ci navait dailleurs
pas attendu pour enregistrer quelque 5 millions de noms, victimes,
témoins et délinquants confondus, dans sa base de données.
Pour se défendre, de quels moyens le citoyen dispose-t-il ? A-t-il
réellement accès aux informations qui le concernent ? Face à ladministration
toute-puissante, peut-il espérer faire reconnaître et respecter
ses droits ?
Pour éclairer la situation actuelle, il faut remonter aux événements
qui ont amené à la création de la CNIL.
La chasse aux Français
Il y a vingt-cinq ans, le projet Safari déclenchait une vaste
campagne lancée par plusieurs associations, campagne initiée par
un article paru dans Le Monde du 21 mars 1974, au titre prémonitoire : « Safari, ou la chasse aux français ». Le projet Safari (Système automatisé pour les fichiers administratifs
et le répertoire des individus) consistait à lépoque à vouloir
interconnecter les fichiers nominatifs de ladministration grâce
au NIR géré par lINSEE (numéro dinscription au répertoire national
didentification des personnes physiques, ou en langage courant
numéro de la Sécurité sociale). Face au tollé médiatique engendré par ce projet, le Ministre
de lintérieur de lépoque avait arrêté ce projet à la dernière
minute.
« On ne voulait pas que les personnes soient réduites à des statistiques »,
rappelait Jacques Fauvet, président de la CNIL, dans Le Monde du 1er décembre 98.
Le débat avait également permis le vote de la loi du 6 janvier
1978 « relative à linformatique, aux fichiers et aux libertés », assurant en principe la protection du citoyen contre une utilisation
abusive des fichiers. Cette loi a créé une instance indépendante
de contrôle, la commission nationale informatique et libertés
(CNIL).
Le NIR, numéro dinsécurité sociale ?
En novembre dernier, le député apparenté communiste Jean-Pierre
Brard (voir encadré), qui sest distingué ces dernières années
par sa lutte contre les nouveaux mouvements religieux (et par
ailleurs par un renvoi en correctionnelle pour délit financier),
faisait voter un amendement autorisant ladministration fiscale
à utiliser le numéro de Sécurité sociale. Safari refaisait surface.
Nimporte quel employé du fisc pourra appuyer sur un bouton et
avoir accès à toutes les informations concernant votre employeur,
votre compte en banque, votre carnet de santé, votre assurance-vie,
votre passeport, etc. |
Débusquer les fraudeurs est parfaitement louable et dans lintérêt
de la collectivité. Mais le moyen employé est sans commune mesure
avec le but affiché. En effet, linterconnexion des fichiers fiscaux
et sociaux va aboutir à mettre en possession des administrations
une énorme somme de données personnelles sur chacun dentre nous,
ce qui ouvre la porte au quadrillage de la population, en dautres
termes à un empiétement intolérable sur le respect de la personne
et de sa vie privée.
Des informations concernant les maladies qui vous affectent, à
travers leur codage obligatoire pour la Sécurité Sociale, pourront
se retrouver en possession dun fonctionnaire chargé de vérifier
vos revenus.
Tout le monde sait que ce fameux NIR, qui, rappelons-le, a été
mis en place sous le régime de Vichy, peut permettre des sélections
sur différents éléments tels que le sexe, lâge ou lorigine de
naissance. Ainsi le premier chiffre, qui codifie le sexe (1 pour
les hommes, 2 pour les femmes), servait-il alors à identifier
les musulmans (le 3 et le 4), le 5 et le 6 étant réservés aux
juifs. Ce précédent inquiétant montre bien les dérives possibles
dans une optique discriminatoire.
Le scandale du STIC :
plus de 2 millions et demi de victimes
et de témoins mis en fiches
La police nest pas en reste, avec la création du STIC Système
de Traitement des Infractions Constatées qui recense lensemble
des dossiers de crimes et délits ayant fait lobjet dune procédure
judiciaire. Bien que nayant pas encore dexistence légale, cette
gigantesque base de données compte déjà les noms de 2,5 millions
de personnes mises en cause, de 2,7 millions de victimes et de
500 000 personnes morales. Car le Stic réunit sans distinction
suspects, victimes et simples témoins, puisquil enregistre lensemble
des procès-verbaux de la police, tenus jusqualors manuellement.
La femme battue, la victime daccusations malveillantes de toute
nature, le commerçant escroqué et le témoin dun délit se retrouveront
fichés aux côtés de délinquants, violeurs, tueurs en série ou
escrocs.
« Toute personne mise en cause dans une affaire, même à titre
de témoin, et donc pas forcément coupable, sera inscrite automatiquement
sur le Stic », sindigne le secrétaire général du Syndicat de la Magistrature
(Le Monde, 14/4/99), dénonçant « une violation de la vie privée qui pourra durer jusquà quarante
ans. »
Car une fois le dossier de linfraction bouclé, relaxes et acquittements
seront consignés, mais tous les noms resteront dans lordinateur,
de cinq à quarante ans selon la nature de linfraction. Par exemple,
une personne visée par une plainte qui plus tard aura été classée
sans suite, continuera à figurer dans le fichier. Aux questions
de la CNIL sur ce point, le Ministre de lintérieur a répondu
quil appartiendrait au bénéficiaire dun non-lieu de demander
à la police linscription de cette information sur sa fiche informatisée.
Autrement dit, le fichier sera fidèlement tenu pour ce qui est
des charges contre un individu, mais pas pour ce qui est de son
innocence.
La Ligue des droits de lhomme, le Syndicat de la magistrature,
le Syndicat général de la police et le Collectif informatique
fichier et citoyenneté se mobilisent contre ce projet. Lors dune
conférence de presse tenue le 13 avril dernier, ils ont demandé
le retrait de ce fichier liberticide. Ces organismes estiment en effet que ce « fichier, constitué au mépris de la présomption dinnocence,
viole les lois damnistie, anéantit le principe du droit à loubli
et ne peut que décourager tous les efforts de réinsertion ».
Ils dénoncent également la durée trop longue de conservation des
données ainsi que les difficultés daccès pour les personnes aux
informations les concernant.
Enfin, ils craignent que ce projet, qui a fait lobjet de réserves
de la part du Conseil dÉtat, mais a récemment reçu laval de
la CNIL, soit adopté rapidement et sans réel débat public.
Des avocats soulignent également quaucun nettoyage na été prévu après la fusion de lensemble des fichiers de police.
Des éléments datant de la dernière guerre et comportant des critères
raciaux pourraient très bien y figurer.
Un seul garde-fou est prévu : tout fonctionnaire de police judiciaire
habilité devra laisser son numéro didentification après chaque
consultation. Cela sera-t-il suffisant pour éviter les abus dun
fichier insuffisamment encadré sur le plan juridique, et beaucoup
trop large dans son champ dapplication ? On peut en douter lorsquon
apprend quun jeune adjoint de sécurité récemment recruté au commissariat
dAsnières, ayant réussi à se procurer le code daccès confidentiel
au fichier du STIC, « passait des heures à pianoter sur lordinateur où lon trouve
les coordonnées des plaignants, [quil] aurait pu communiquer
à ses petits camarades des cités du coin pour déventuelles opérations
de représailles ». Le Figaro Magazine. mai 1999.
Une protection fragile
Cest seulement à la fin des années soixante quont été votées,
dans les démocraties occidentales, des lois garantissant aux citoyens
un libre accès aux informations détenues par les administrations,
la Suède faisant exception avec une loi datant de 1766 ! Le « Freedom of Information Act » (loi sur le libre accès à linformation) a été voté aux États-Unis
en 1966, avec des amendements datant de 1974 destinés à assurer
une meilleure application de la loi. Au Danemark et en Norvège,
de telles lois ont été votées en 1970, en Autriche en 1973.
En France, il a fallu attendre 1978 pour voir inscrit dans une
loi spécifique le principe de la liberté daccès aux documents
administratifs. La loi du 17 juillet 1978 dispose que « le droit de toute personne à linformation est garanti par le
présent titre en ce qui concerne la liberté daccès aux documents
administratifs de caractère non nominatif ». Une commission dite commission daccès aux documents administratifs (la CADA) est chargée de veiller au respect de la liberté daccès
aux documents administratifs dans les conditions prévues par cette
loi.
Même si cette loi constitue un indéniable progrès, en levant le
secret administratif pour élargir la vie publique, elle nen demeure
pas moins incomplète car elle donne une définition trop restrictive
des documents administratifs.
Bien que les fichiers des renseignements généraux existent depuis
des lustres, la légalité de ces fichiers na été instituée par
décret que le 14 octobre 1991. |
Mais le libre accès à linformation, cest aussi laccès dune
personne physique aux informations nominatives qui la concernent,
détenues dans des documents manuels ou informatisés, accès qui
doit lui permettre de corriger les données erronées. Cest aussi,
bien sûr, la restriction de cet accès aux seuls intéressés et
aux utilisateurs déclarés des fichiers nominatifs, la libre diffusion
dinformations nominatives pouvant constituer un danger pour le
citoyen.
Cest la loi du 6 janvier 1978 relative à linformatique, aux fichiers et aux libertés qui assure la protection du citoyen contre une utilisation abusive
des fichiers.
Là encore, si cette loi constitue un progrès incontestable, elle
conserve néanmoins de graves lacunes.
Et surtout, elle exclut de son champ dapplication les documents
nominatifs concernant les personnes morales. Les associations
se voient ainsi refuser tout droit daccès aux informations les
concernant.
Or, lintérêt majeur dune loi sur le libre accès aux fichiers,
administratifs entre autres, est de permettre aux associations,
partis politiques, syndicats, sociétés, dexercer pleinement leurs
rôle et contrôle au sein dune société devenue extrêmement complexe.
Pour ce faire, ces personnes morales doivent connaître les informations
que les administrations détiennent sur elles afin, notamment,
de les faire rectifier si nécessaire. Les rapports entre les administrations
et les différents groupes sociaux ne pourraient quen être améliorés.
Aujourdhui, une association jugée politiquement incorrecte peut faire lobjet dun fichage sans aucun contrôle ni aucun
recours.
La loi du 6 janvier 1978 joue-t-elle au moins son rôle de protection
du citoyen ?
Deux poids, deux mesures
Larticle 31 de la loi du 6 janvier 1978 dispose par exemple qu
« il est interdit de mettre ou conserver en mémoire informatique,
sauf accord exprès de lintéressé, des données nominatives qui,
directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales
ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou
les appartenances syndicales ou les murs des personnes ». Toutefois, les Églises ou les groupements à caractère religieux,
philosophique, politique ou syndical peuvent tenir registre de
leurs membres ou de leurs correspondants sous forme automatisée.
Mais lÉtat, en principe garant de la protection des droits des
citoyens, se montre dune grande indulgence envers lui-même, et
peut déroger à cette interdiction denregistrement de données
sensibles pour des motifs dits dintérêt public. Larticle 20 de la loi autorise même que les actes réglementaires
relatifs à certains traitements intéressant la sûreté de lÉtat,
la défense ou la sécurité publique ne soient pas publiés.
Autrement dit, non seulement les opinions politiques, philosophiques
ou religieuses des citoyens peuvent figurer dans des fichiers
constitués pour des motifs dintérêt public, mais encore le citoyen pourra ne jamais connaître lexistence
de tels fichiers !
Cest ainsi que les fichiers de la DST (direction de la surveillance
du territoire), de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité
Extérieure) ou de la direction de la protection et de la sécurité
de la Défense, autrement dit, justement les instances dont la
fonction même est dopérer à partir dinformations confidentielles collectées sur les individus, ont fait lobjet dune telle autorisation
par des documents jamais publiés, donc inconnus du public, et
évidemment sans susciter la moindre protestation politique. Quand
on connaît le nombre de bavures commises par ces instances, comme
par exemple laffaire du Rainbow Warrior, on ne peut que sinquiéter
de leur immunité.
Le citoyen le plus inoffensif peut donc se retrouver dans une
situation où ses coordonnées, ses opinions, sa race ou sa religion
figureront sur un fichier dont il ignore lexistence. Une simple
coïncidence, une homonymie avec un suspect, ou la décision dun
fonctionnaire peuvent suffire. Les conséquences, elles, peuvent
être difficiles, voire impossibles, à éviter : enquêtes de voisinage
ou de moralité, et surtout suspicion de la part de relations personnelles
ou professionnelles, à partir du moment où des informations erronées
sont diffusées.
Si la loi instaure le principe dun droit daccès pour permettre
de corriger les fausses informations ou les informations abusives,
ce droit ne peut sexercer que de façon indirecte (via un représentant de la CNIL) pour les fichiers « intéressant la sûreté de lÉtat, la défense et la sécurité
publique ».
Cest donc précisément le fichage le plus dangereux pour les libertés
individuelles qui échappe au contrôle du citoyen.
Et comment parler de droit daccès, même indirect, pour des fichiers
dont lexistence reste inconnue du public ? Lopacité est totale.
LÉtat policier : les fichiers des RG
De nombreux fichiers de lÉtat contiennent des données sensibles.
Certains fichiers de la police ont particulièrement attiré lattention
du public.
Bien que les fichiers des renseignements généraux existent depuis
des lustres, la légalité de ces fichiers na été instituée par
décret que le 14 octobre 1991. Surnommés la grande oreille de lÉtat, les renseignements généraux (3 900 policiers) ont été organisés
sous leur forme actuelle par une loi du régime de Vichy (loi du
23 avril 1941). Les RG sont chargés de « la recherche et la centralisation des renseignements dordre
politique, social, économique, nécessaires à linformation du
gouvernement », du contrôle des personnes aux frontières, de la surveillance des
jeux et des champs de course.
Les RG gèrent trois types de fichiers :
- Le fichier documentation-information qui comprend 600 000 fiches
renvoyant chacune soit à un dossier détenu par la documentation,
soit à un dossier détenu par une section. Il répertorie les individus
et les associations à partir de critères variées.
- Le fichier automatisé des associations, sociétés et groupements
associés qui ont attiré lattention des pouvoirs publics en raison
dactivités susceptibles de troubler lordre public, de porter
atteinte aux intérêts de la défense nationale ou dont les dirigeants
ou militants se sont signalés par des actes de même nature. Ce
fichier porte sur 80 000 entités.
- Le fichier automatisé des individus qui contient environ 450 000
références comprenant trois applications distinctes : dossier
départemental (370 000 références), courses et jeux (11 700 références),
application violence, attentats et terrorisme (70 000 références).
Lapplication dossier départemental concerne en fait toutes les
personnes qui ont un certain pouvoir ou une certaine influence.
Pour ces différents fichiers, la CNIL a admis que des informations
relatives à lorigine ethnique et à lappartenance politique,
syndicale ou confessionnelle des personnes exerçant une influence
sur les situations politique, économique ou sociale pouvaient
être collectées et enregistrées pratiquement sans limite.
Le droit daccès et de rectification des fausses informations
contenues dans ces fiches est complètement subordonné au bon vouloir
du ministre de lintérieur qui peut accepter ou non de communiquer
les informations.
En cas de refus, la CNIL notifie simplement à lintéressé quelle
a procédé aux vérifications.
Un citoyen « religieusement incorrect »
Lexemple véridique ci-dessous illustre bien cette affirmation :
MD est un ingénieur brillant, auteur de plusieurs ouvrages spécialisés,
mais il a limmense tort aux yeux des autorités publiques dêtre
un membre actif de lun des mouvements répertoriés comme secte
par la commission denquête parlementaire (ce mouvement est par
contre considéré comme une religion authentique dans de nombreuses
démocraties). MD a demandé à la CNIL la communication de sa fiche
détenue par les RG, fiche dont il soupçonnait lexistence. Il
lui a été répondu que les renseignements généraux détenaient bien
des informations nominatives le concernant et quil avait été
procédé aux vérifications.
MD naura pas communication de sa fiche, la communication de telles
informations « pouvant nuire à la sûreté de lÉtat, à la défense ou à la sécurité
publique ». MD a toutes les raisons dêtre inquiet : ayant été injustement
attaqué dans la presse, il veut être sûr que les dossiers des
RG contiennent au moins la copie des jugements qui lui ont donné
raison. Mais il naura jamais cette certitude. Aujourdhui un
recours est en cours au tribunal administratif. Le tribunal lui
a récemment donné partiellement raison en obligeant le ministre
de lintérieur à communiquer au tribunal les éléments du fichier
des renseignements généraux comportant des informations nominatives
concernant MD.
Entre-temps les informations sur MD continuent à circuler à son
insu. Récemment, MD était en négociation avec une grande entreprise
du secteur public pour la publication dun ouvrage sur la construction
de bâtiments respectueux de lenvironnement Les négociations ont
été brutalement interrompues suite à une mystérieuse intervention
extérieure. MD devait aussi diffuser sur Internet un de ses logiciels
de protection de lenvironnement, en collaboration avec cette
entreprise. Là encore, son interlocuteur recevait brutalement
lordre de cesser tout contact avec MD. En quoi la protection
de lenvironnement concerne-t-elle la sûreté de lÉtat ? Qui était
au courant de ses contacts précis ? De quels moyens redoutables
dinvestigation disposaient les informateurs ? Quels fichiers
pouvaient-ils utiliser ? Aujourdhui MD est sans illusion : il
sait que son activité professionnelle peut être suivie à la trace
et quà tout moment ses clients peuvent recevoir des pressions
pour cesser toute activité avec lui.
Quand lÉtat se veut au-dessus des lois
Mais il arrive que lÉtat, dans son obsession du secret, dérape.
Dans une affaire jugée récemment, le requérant avait déposé en
1992 une demande afin dexercer son droit daccès à la fiche des
Renseignements Généraux le concernant, dont il soupçonnait également
lexistence, étant un membre assez en vue dun mouvement religieux
minoritaire. Laffaire aboutit enfin en 1998 à une injonction
ordonnant aux RG de communiquer la fiche en question au tribunal.
Situation incroyable dans un état de droit, le Ministère de lIntérieur
refusa dobtempérer.
Que signifie une telle réaction ? Une méfiance profonde vis-à-vis
du judiciaire ? Sûrement. Une arrogance née de lhabitude de travailler
hors de tout cadre légal, bien à labri derrière linvocation
de la protection de la sûreté de lÉtat et de la sécurité publique ? Sans aucun doute.
Serait-ce également la crainte de voir exposé publiquement un
dossier vide, constitué de fausses informations, et de devoir
admettre que le roi est nu ?
La réponse ne saurait tarder à être connue, car le tribunal, devant
cette attitude inqualifiable, a autorisé le requérant à avoir
un accès direct à sa fiche.
CNIL : une commission impuissante ?
« Je ne savais plus très bien à quoi je servais, ni à quoi nous
servions. La CNIL ne parvient plus à endiguer les atteintes à
la vie privée » déclare dans les colonnes du Journal du Dimanche Louise Cadoux,
conseillère dÉtat, qui a récemment démissionné de son poste de vice-présidente
de la CNIL.
« La CNIL ne parvient plus à endiguer les atteintes à la vie privée ».
Louise Cadoux,
vice-présidente de la CNIL,
Conseillère dÉtat. |
Convaincue quun débat public est nécessaire, elle propose « un texte destiné à lancer un débat contradictoire sur le Net :
www.francophonie.net/ailf ».
Lesprit de la loi de 1978 était de protéger le citoyen contre
un fichage abusif des administrations.
Quen est-il dans les faits ? Dun côté, la CNIL est devenue extrêmement
tatillonne pour le secteur privé ou associatif, allant jusquà
dépasser dans son pouvoir réglementaire, les exigences initiales
de la loi de 1978 et limitant ainsi la liberté dassociation,
de commerce, de religion.
Mais elle est pratiquement impuissante pour les grands fichiers
de lÉtat, qui font justement courir le plus de risques aux libertés
individuelles, comme le prouvent les cas évoqués plus haut.
Contrairement aux particuliers, lÉtat, les collectivités territoriales,
les établissements publics, ou les personnes privées gérant un
service public bénéficient dun régime dérogatoire. Sur ce point,
lesprit libéral qui avait généré le vote de la loi du 6 janvier
1978 a été totalement violé.
Ainsi, alors que les traitements privés dinformations nominatives
doivent préalablement à leur mise en uvre être déclarés à la
CNIL, larticle 15 de la loi instaure un régime qui permet à ladministration
déchapper à la censure de la CNIL. Ladministration peut instaurer
un traitement automatisé par simple acte réglementaire et peut
se contenter de lavis de la CNIL. La Commission ne peut pas sopposer
au traitement.
Alors que toute entreprise ne peut mettre en uvre sans autorisation
préalable de la CNIL un banal fichier de clients ou un fichier
de paie, lÉtat peut instaurer des fichiers liberticides sans
la moindre autorisation. Tout au plus, si lavis de la CNIL est
défavorable, ladministration visée devra-t-elle obtenir un décret
pris après avis du Conseil dÉtat, en fait une simple formalité.
Dans le cas de linterconnexion des fichiers fiscaux et sociaux
voté par lAssemblée en novembre dernier, lastuce de lamendement,
choisie par le député Brard, a permis décarter délibérément la
CNIL. Un amendement nest pas soumis à lappréciation de la Commission
car il ne sagit pas dun acte réglementaire. Une fois de plus,
prétendument au nom des libertés, on réduit un peu plus celles
des citoyens français.
Par ailleurs, alors que le particulier doit attendre de recevoir
lautorisation de la CNIL, ladministration bénéficie dun accord
implicite et peut mettre en uvre son traitement au bout de 4
mois si aucun avis contraire ne lui a été notifié par la CNIL.
Enfin, les personnes privées doivent sengager lors de la déclaration
à certifier que leur traitement satisfait aux obligations de la
loi. Ladministration nest pas tenue à cet engagement, alors
que le respect du cadre légal par ceux-là mêmes qui sont chargés
de le faire appliquer paraît pourtant légitime.
Pour un véritable droit daccès
Une véritable démocratie se juge à la transparence de ses procédures,
transparence qui seule permet à tous les contre-pouvoirs de sexercer,
à toutes les voix de se faire entendre. Ce principe de transparence
est inscrit dans larticle 15 de la Déclaration des droits de
lHomme de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public
de son administration ».
Mais entre les grands principes généreux de 1789 et le fonctionnement
quotidien de notre Administration, un immense fossé se creuse
au fur et à mesure des années, tant la pratique du secret est
inscrite dans les gènes de nos bureaucrates.
Cest pourquoi lexistence et lutilisation de fichiers comme
ceux du Nir, du Stic ou des RG méritent un vrai débat, un débat
public. Et une mobilisation de chaque Français sur une question
qui est au cur des libertés, celle du droit de chacun à protéger
sa vie privée, à avoir accès et à pouvoir rectifier les informations
le concernant personnellement.
Contre ceux qui veulent ficher les citoyens pour mieux les contrôler,
et leur dénier le droit à la vie privée et à la différence.