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LA RÉALITÉ ET LA FICTION
Alors que notre société française est aux prises avec des problèmes bien réels et de véritables enjeux, le phénomène « anti-sectes », lui, relève plutôt du « fantasme ». Celui-ci s’est développé ces dernières années sous les yeux étonnés, de plus en plus inquiets, de tous ceux qui, soit par leurs racines culturelles, soit par leur esprit critique, soit par leur éloignement géographique, avaient les moyens de ne pas se laisser entraîner par l’évidence médiatique.
Ceci s’est produit en quelques étapes qu’il est aisé de retracer.
Tout d’abord, le franchissement de la frontière du réel. En 1995, pour les besoins d’un rapport parlementaire qui devait être amplement médiatisé, les Renseignements généraux, organisation policière dont la qualité majeure n’est probablement pas la culture religieuse ou spirituelle, a concocté à la hâte une liste noire de 172 groupes « dangereux » qui allaient aussitôt donner matière au fantasme. Même la contestation des religions les plus traditionnelles, choquées de se retrouver condamnées à l’ostracisme politique et social, directement ou au travers de structures créées en leur sein, n’a eu aucun effet, comme si les menaces recelées dans cette liste étaient plus réelles que les problèmes de violence, d’illettrisme ou de drogue...
Le gouvernement français s’est ensuite doté d’une mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), aujourd’hui discréditée, chargée d’incarner et d’entretenir la mobilisation contre les éléments de la fameuse liste. Que cet organe ait été considéré en dehors de l’hexagone comme indigne d’une démocratie, pourquoi s’en préoccuper puisque l’on avait le privilège de voir des choses que les autres ne voyaient pas ?
L’étape suivante fut celle de la surenchère. Une loi extraordinaire fut votée (la loi About-Picard) permettant de dissoudre n’importe quelle association. Ainsi deux « délits » pouvant être reprochés à un « dirigeant » seront désormais suffisants pour dissoudre – en France – tout élément ciblé par la liste noire : l’ennemi n’ayant pas pu être défini avec précision, il fallait se donner une arme à spectre large pour être sûr de pouvoir l’atteindre.
Que cette loi ait fait froid dans le dos aux politologues les plus avertis, qu’elle ait provoqué les protestations d’institutions internationales et de responsables religieux de par le monde, qu’elle ait incité l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à recommander à la France de la réexaminer, où était le problème puisqu’il fallait bien terrasser nos propres démons ?
Il est temps, il est grand temps, d’en revenir à la réalité des choses, et aux principes simples des sociétés modernes.
C’est peut-être – il est encore difficile de se prononcer – ce qui a été fait avec la création de la nouvelle mission interministérielle, la « Miviludes ».
Pour l’État républicain, comme pour tout État moderne, il n’y a pas de vraies ou de pseudo-religions, il n’y a pas de mauvaises ou de bonnes spiritualités, il n’y a pas de pensées droites ou déviantes : tout citoyen est libre de ses pensées, croyances ou opinions, et il y a une loi qui détermine et qui sanctionne ce qu’il est interdit de faire.
Si la loi s’applique aux actes, et non aux pensées, aux courants d’idées ou aux mouvements spirituels, et si elle est la même pour tous, on peut alors parler de République, et plus généralement de démocratie.
Même s’il ne s’agissait à la base que d’un mauvais rêve, la dérive récente a provoqué bien des souffrances, des humiliations, des injustices. Le retour au réel, à l’information juste, au respect de la démocratie, devra bien se faire.
J’espère, j’ose imaginer, que c’est pour très bientôt.
Danièle Gounord
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