Une victoire pour la liberté de religion provoque de bien étranges réactions. Larrêt rendu par la cour dappel de Lyon le 28 juillet dernier dans laffaire concernant 15 membres de lÉglise de Scientologie a été salué par les défenseurs des droits de lhomme comme une victoire pour la liberté de conscience. La cour a rappelé le principe de laïcité républicaine (larticle 2 de la Constitution décide que la République respecte toutes les croyances) avant décrire : « LÉglise de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités, y compris ses activités missionnaires, voire de prosélytisme ». Les juges ont par ailleurs remarqué la sincérité des croyances religieuses des scientologues.
Mais cette décision na pas réjoui tout le monde. Pour certains, les principes dégalité devant la loi et de liberté de religion ne sont pas destinés, apparemment, à être appliqués à la lettre. Bien entendu, chacun peut parfaitement faire valoir son droit à cette égalité ou à cette liberté mais à ses risques et périls. Et le fait que la cour de Lyon ait rappelé de façon impartiale la Constitution et la Déclaration des droits de lhomme a provoqué, chez ces élus du peuple, quelques crises dapoplexie.
Même le ministre de lIntérieur, Jean Pierre Chevènement, a été influencé par les déclarations outrancières de MM. Jacques Guyard, Jean-Pierre Brard et Alain Gest les trois députés les plus impliqués dans la contribution de la France à la tolérance et à la liberté de religion ; leur rapport parlementaire (paru en 1996) a, en quelque sorte, étiqueté tout le monde comme « membre de secte », du président des États-Unis, au travers de lÉglise baptiste, jusquaux fidèles de communautés catholiques ou bouddhistes. Cest dans ce climat que M. Chevènement a rappelé quil était la seule autorité habilitée à reconnaître les associations religieuses.
Il serait pourtant intéressant de comparer les critiques féroces prononcées à lencontre de larrêt de la cour dappel de Lyon aux engagements pris par le gouvernement français auprès des instances internationales.
La France rend une copie de bon élève aux Nations unies
Le 15 mai 1997 à peine trois mois avant la décision de la cour dappel de Lyon le gouvernement a remis son rapport périodique au Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de lhomme. Le sujet en était le respect par le gouvernement de ses obligations selon le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques (CIDCP) rédigé par les Nations unies et ratifié par le gouvernement français.
« Larticle 18 ne se limite pas dans son application aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances qui possèdent des caractéristiques institutionnelles ou des pratiques analogues à celles des religions traditionnelles. »
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Trois pages entières de ce rapport étaient consacrées à chanter les louanges de la politique et des actions du gouvernement, dans le strict respect de la liberté de pensée et de croyance selon larticle 18 du Pacte.
Ainsi que la défini la Commission des droits de lhomme des Nations unies, « larticle 18 ne se limite pas dans son application aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances qui possèdent des caractéristiques institutionnelles ou des pratiques analogues à celles des religions traditionnelles. La Commission, par conséquent, est vigilante sur toute tendance discriminatoire vis-à-vis de nimporte quelle religion ou croyance, pour nimporte quelle raison, y compris le fait quelle soit nouvellement établie ou soit un mouvement religieux minoritaire pouvant faire lobjet de lhostilité dune communauté religieuse prédominante » .
Le rapport de mai 1997 du gouvernement aux Nations unies ne se borne pas à affirmer que les pensées divergentes sont tolérées en France, il proclame que « lÉtat français respecte, garantit et encourage la liberté de pensée ».
Si cela est vrai et lon doit bien supposer que cest vrai puisquil sagit dun rapport officiel de lÉtat , il serait intéressant de savoir au nom de quels intérêts sexpriment les personnalités citées ci-dessus... et comment ils conçoivent leur rôle dans cette France libérale, eux qui non seulement sont loin dencourager, mais ne respectent pas et nient même le droit des autres à penser librement.
Concernant lengagement du gouvernement à faire respecter le droit à la liberté religieuse prévu par le Pacte international, le rapport de mai 1997 annonce que « le but des lois en vigueur est précisément de permettre à chaque individu dadopter librement une croyance ou une religion de son choix. La loi garantit à lindividu une protection dans tous les aspects de sa vie publique ou privée, contre nimporte quelle pression ou discrimination qui surgirait du fait de ses croyances ou de sa religion » .
Pourquoi alors des élus sont-ils sortis de leurs gonds alors quune cour de justice se conformait exactement aux principes que le gouvernement lui-même venait de rappeler publiquement ?
Soit le but de ce tapage médiatique était de semer délibérément la confusion, soit il montre leur ignorance du sujet.
Un Jugement dans le droit fil de la laïcité républicaine
Il y a en effet une différence significative entre le fait que ladministration considère quun groupeforme une religion reconnue, et le fait quil sagisse réellement (ou non) dune religion. Lobjet des débats devant la cour de Lyon était celui de la liberté religieuse et de la protection des droits de lhomme, dans le cadre de la Constitution française et des actes juridiques internationaux concernant les droits de lhomme, ratifiés par le gouvernement français.
Non seulement la cour était compétente pour qualifier les concepts de religion ou croyance en se référant, comme elle la fait, aux articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, à larticle 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés, à larticle 10 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 août 1789 et à larticle 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, mais elle devait le faire.
Pour Me François Saint-Pierre, avocat au barreau de Lyon, « la cour dappel a rempli en cela son devoir ; garantir lexercice des libertés contre larbitraire. »
Sur le point de savoir ce qui constitue une religion, les anciens membres de la Commission parlementaire pourraient se référer aux conclusions de lexpert Thanassis Théodorou, dAthènes lun des nombreux intellectuels à avoir récemment publié ses travaux sur la question de la définition du mot religion dans une société pluraliste.
« Si lon cherche dans les textes des pères de lÉglise chrétienne et dans les écrits des grandes figures de la théologie pour trouver la définition originelle de religion, on va être fort déçu, écrit T. Théodorou. La question de ce quest une religion est récente et reflète le besoin de mettre une religion dans un cadre légal. »
Jusquà ce quil y ait eu une définition légale, « tout le monde considérait sa proprereligion comme évidente », ajoute-t-il. Et pour illustrer cela, il demande ; « Pouvez-vous imaginer des Pygmées ou des aborigènes dAustralie se demander si oui ou non leur foi est réellement une religion ? »
Dans le même ordre didée, peut-on imaginer que ces élus soient réellement perplexes quant à la compétence de la cour dappel de Lyon ? Cest possible. Mais il est plus probable quils aient intentionnellement essayé de semer le doute dans lopinion publique, par des propos à double sens.
Le rapport gouvernemental de mai 1997 aux Nations unies fait état de principes admirables sur les droits de lhomme. Serait ce trop demander, après toutes ces années, quils soient enfin mis en pratique par lensemble de la classe politique ?
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