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Extrait de lanalyse de F. Chevallier, professeur agrégé de droit public
on seulement la loi donne aux différentes autorités, administratives ou judiciaires, des pouvoirs définis dans des termes tels quils peuvent être exercés dans le plus grand arbitraire, mais elle se heurte à de graves obstacles constitutionnels.
Un texte imprécis
Larticle 8 de la Déclaration des Droits de lHomme énonce : « La loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
Or compte tenu des dispositions actuelles du Code Pénal et de la variété des incriminations quil contient permettant de réprimer les abus dautorité ou dinfluence, il est très difficile de pouvoir justifier de la nécessité dune incrimination telle que la manipulation mentale dont au demeurant les contours ne peuvent quêtre dune imprécision contraire aux exigences constitutionnelles.
Deuxième critique : la proposition nobéit pas aux exigences du principe de la légalité des délits.
Ces exigences constitutionnelles sont très nettes : pour que le principe de légalité des délits soit respecté, il ne suffit pas que le délit soit prévu par la loi, encore faut-il que la loi définisse « les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure larbitraire ».
Or le projet comporte une incrimination (article 10) qui, pour le moins, manque de précision. Outre les lacunes évidentes de rédaction (que peuvent être des pressions graves en dehors des cas de violences ou de menaces dont le texte dit quelles sont hors sujet ?) le texte, dans sa rédaction, permet, en réalité, de poursuivre nimporte quelle personne, physique ou morale, et même plus, nimporte quel groupement, et de les faire condamner à des sanctions extrêmement graves, notamment par le jeu de renvois du texte sur lui-même, sans même que soit précisés de manière claire les faits qui pourraient lui être reprochés.
La question de la liberté
La troisième critique constitutionnelle, la plus grave, est en rapport avec la question de la liberté.
Le texte incrimine le fait pour une personne davoir convaincu une autre personne dagir, contre son gré ou non, selon des modalités qua posteriori le juge considérerait comme lui étant « gravement préjudiciable ».
Larticle 1 de la Déclaration des Droits de lHomme dispose que : « Les Hommes naissent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur lutilité publique. »
Ce texte pose un postulat, celui de la liberté des hommes en droit. Dès lors, tout individu peut réclamer le bénéfice de cette liberté et exiger que cette liberté ne soit pas contestée.
Il serait inconcevable que le législateur puisse écarter ce postulat de liberté en considération dune activité ou dun acte particuliers en postulant, en définitive, que les hommes sont libres en droit sauf pour lexercice de telle ou telle catégorie dactivité de la vie privée.
Dautre part, larticle 4 de la Déclaration dispose que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
Dès lors se pose la question de la constitutionnalité dune mesure législative destinée à assurer la protection non dautrui mais des individus contre eux-mêmes. En effet, la Déclaration des Droits de lHomme permet, sans discussion possible, de restreindre la liberté de chacun en vue déviter que lexercice de la liberté des uns puisse nuire aux autres. Mais cest indubitablement porter une atteinte inconstitutionnelle à lexercice de la liberté que de vouloir assurer la protection de celui-là même dont larticle 1 de la Déclaration déclare quil est libre en droit.
Cest une chose de vouloir protéger quelquun contre les conséquences sur sa vie ou son intégrité physique dun accident de la circulation, cen est une autre de vouloir le protéger contre ses opinions même religieuses.
Violation de la Convention Européenne des Droits de lHomme
En définitive, il apparaît que la proposition de loi projetée soulève les plus sérieuses réserves quant à sa compatibilité tant avec la Constitution quavec la Convention de Sauvegarde des Droits de lHomme. En effet, la Cour Européenne des Droits de lHomme ne pourrait que considérer quil y a violation des dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de lHomme et des Libertés Fondamentales qui garantit la liberté dassociation (article 11), la liberté dexpression (article 10) et linterdiction de la discrimination (article 14).
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