LA FRANCE SAPPRÊTE À VOTER UNE LOI DEXCEPTION
e contrôle des consciences, associé au concept de gouvernabilité de la population, est lénorme couleuvre que certains espèrent faire avaler à lAssemblée Nationale cette semaine. Une nouvelle proposition de loi qui menace directement les libertés démocratiques provoque un tollé général et attire lattention des organisations de défense des droits de lhomme.
Le 14 juin, la Commission des lois de lAssemblée sest prononcée sur lopportunité de présenter le projet de loi de Mme Picard, présidente du groupe détude sur les soi-disant sectes à lAssemblée. Cette loi, si elle était adoptée, permettrait au gouvernement de prendre des mesures répressives à légard des minorités religieuses par le biais dune législation dexception.
La France serait ainsi le premier pays à faire renaître la loi votée en 1930 par le régime fasciste de Mussolini sur la manipulation mentale, la loi du Plagio.
Afin de mettre toutes les chances de son côté, Mme Picard a été élue à la Commission des lois en tant que rapporteur de sa propre proposition. À peine les premières protestations se faisaient-elles entendre, que la date dexamen de le loi était avancée dune semaine !
La proposition de loi Picard nest que le dernier avatar de plusieurs tentatives récentes pour parvenir à une législation qui accorderait au gouvernement le pouvoir de dissoudre des groupes en visant clairement des groupes religieux qui ne lui plaisent pas. Ces tentatives, qui ont rencontré une forte opposition, avaient jusqualors avorté.
La dernière proposition de loi de ce type, déposée en décembre par le sénateur Nicolas About, a été vite écartée car il était évident que ses articles pouvaient facilement être appliqués aux partis politiques, aux groupes anti-religieux qui soutenaient cette proposition et même aux grandes religions.
Le projet de loi About un dispositif destiné à compléter la loi du 10 janvier 1936 avait suscité de vives protestations aussi bien en France quà létranger.
Déposée à peu près en même temps que le projet du sénateur About, la proposition du Maire de Paris, Jean Tiberi, allait encore plus loin en inventant des zones dexclusion qui seraient interdites à certaines religions.
Une loi dexception
On ne peut manquer dassocier cette tentative dintroduction dans le droit français du délit de manipulation mentale avec la loi dite de plagio qui fut votée en 1930 par lItalie fasciste pour combattre les communistes que lon accusait de pratiquer la manipulation mentale.
Cette loi fut par la suite étendue, comme toutes les lois dexception, à des catégories plus larges.
Cest ainsi que les adversaires de la légalisation de lhomosexualité utilisèrent le délit de plagio en prétendant que des adultes avaient converti des jeunes gens à lhomosexualité en les manipulant mentalement. Plus récemment, on tenta dappliquer ce délit à un prêtre catholique, ce qui fut à lorigine dun énorme scandale en Italie.
Finalement, en 1981, la Cour Constitutionnelle italienne abrogea le plagio quelle considérait comme contraire à la Constitution en raison de son caractère vague et douteux. Elle jugea que ce délit était une menace pour la démocratie.
Cest pourtant un ersatz de ce texte condamné par les Italiens depuis 20 ans qui sera soumis au vote des parlementaires français le 22 juin 2000. Les opposants à la proposition de loi Picard en dénoncent principalement son caractère flou qui ouvre la porte à une application arbitraire ; de plus, il abolit purement et simplement le principe de la libre volonté des individus. Plus extrême encore que le plagio, le texte français réalise la prouesse de sappliquer à des individus qui auront consenti de leur plein gré à participer aux activités du groupe incriminé. Les membres de ces groupements, dès ladoption du texte, ne seront plus considérés comme aptes à décider de leur propre vie.
La proposition de loi Picard enfonce ouvertement la brèche ultime dans les remparts qui garantissent encore une certaine liberté individuelle aux citoyens français. « Un bref survol de lhistoire et de la géographie politique suffit à montrer que les lois du type délit de manipulation mentale annoncent le chant du cygne de la liberté individuelle », déclare un spécialiste des Droits de lHomme. « Le dénominateur commun de toutes les dictatures, quelles soient de nature fasciste ou communiste, est de se substituer à lindividu dans la définition de son propre bien. Dès lors, la voie est ouverte à nimporte quel abus de la part des pouvoirs publics, en toute légitimité. »
Violation des Droits de lHomme
Derrière les propositions de Madame Picard et de ses prédécesseurs se profilent Alain Vivien et sa Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS).
Le rapport annuel de la MILS de 1999, qui recommandait une telle législation, a été dénoncé dans ses propres rangs comme répressif et inadapté.
Les actions de la MILS, comme le soulignent de nombreux experts aussi bien en France quà létranger, violent les principes démocratiques établissant la liberté de conscience et sont en contradiction avec le principe de séparation des Églises et de lÉtat.
A. Vivien et la MILS entretiennent des relations régulières avec une association militante, lADFI, qui, elle aussi, refuse tout dialogue avec les groupes quelle combat.
Une tempête de protestations
Des violations des Droits de lHomme ont été dénoncées dans plusieurs rapports émanant dinstances telles que lOrganisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), le Département dÉtat Américain, ou la Fédération Internationale des Droits de lHomme dHelsinki (IHF).
Dans son rapport 2000, lIHF relève que « la tolérance religieuse en France a été mise à mal par laction des pouvoirs publics ». Au sujet de la proposition de loi présentée par le sénateur About, le rapport indique que « son champ dapplication dépasse de beaucoup la religion et si elle est approuvée par la Chambre des Députés , elle éliminera dans le même temps la liberté dassociation en France. Étant donné les sentiments actuels envers les minorités religieuses en France, cette loi peut être perçue comme une tentative pour faire disparaître le statut légal et administratif des minorités. »
Des preuves accablantes
Une Commission denquête sur les violations des Droits de lhomme a siégé à plusieurs reprises dans diverses villes de France depuis sa première réunion le 3 mars à Paris. Des dizaines de victimes de ces campagnes de haine ont été entendues, des gens dont les vies ont été ruinées sans autre raison que leur appartenance à lun des groupes stigmatisés dans le rapport parlementaire de 1995. La Commission évalue à plusieurs milliers le nombre de personnes directement persécutées par la chasse aux sorcières qui fait actuellement rage en France. (lire page 4).
Des sources douteuses
Les rapports parlementaires auxquels se réfère la proposition de loi Picard dans son préambule ont tous fait lobjet des critiques les plus vives de la part dexperts en droit et en religion, sociologues et universitaires de renom. Les critiques portaient tant sur les méthodes employées pour la fabrication de ces rapports, avec des sources de renseignements pour le moins douteuses et non vérifiées, que sur le manque de professionnalisme et de rigueur élémentaire qui transparaissait desdits rapports. Non seulement les instances chargées de ces rapports nont jamais cru bon de solliciter la collaboration, voire le simple conseil des experts du domaine, comme il eût été normal, mais encore elles ont soigneusement gardé le secret et maintenu à distance tous ceux qui auraient pu apporter des éléments objectifs sur les nouvelles émergences spirituelles.
Par ailleurs, lauteur des deux principaux rapports sur les sectes, Jacques Guyard, vient de faire appel pour sa condamnation courant mai à un an de prison avec sursis pour trafic dinfluence pour son rôle dans le financement occulte du parti socialiste à Évry, dont il était député-maire.
Il a aussi été condamné pour diffamation à légard du mouvement anthroposophique, jugement dont il a également fait appel.
Ainsi, les prémisses même sur lesquelles sappuie implicitement la nouvelle proposition de loi Picard sont issues dun travail mené dans lombre et peu sérieux. Plusieurs des membres de ces commissions se sont par ailleurs illustrés depuis des années par leur acharnement à lencontre des nouvelles formes de spiritualité.
La MILS se gausse des avertissements de la communauté internationale qui continuent pourtant de saccumuler à lencontre du traitement que la France réserve aux droits de lhomme.
Cest pourquoi des voix de plus en plus nombreuses sélèvent pour exiger la dissolution de la MILS si la France veut respecter ses engagements en matière de droits de lhomme.
En conclusion, rappelons lépilogue de la pièce La résistible ascension dArturo Ui, de Bertold Brecht :
« Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder.
Bêtement. Agissez au lieu de bavarder.
Voilà ce qui a failli dominer une fois le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison.
Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :
Le ventre est encore fécond, doù a surgi la chose immonde. »
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