Malgré cette vive opposition, la Commission des lois du Sénat, n’a pas adouci la proposition de loi. Bien au contraire ! Lors de l’examen de cette proposition le 20 janvier, la Commission des lois n’a pas supprimé le délit de manipulation mentale créé par les députés. Elle l’a simplement déplacé pour le faire figurer dans le code pénal en complétant le délit d’abus de faiblesse. Le nouveau texte réprime désormais « l’abus frauduleux d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ».
De plus, le projet de la Commission des lois étend considérablement le champ de la dissolution alors même que cette mesure, dans le projet de l’Assemblée nationale, avait déjà suscité de nombreuses réserves, notamment celle de Pierre Truche, président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme. Pierre Truche avait jugé que la disposition de la loi sur la dissolution d’un groupement sectaire portait atteinte à la liberté de religion garantie notamment par la convention européenne des droits de l’homme.2
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C’était la première fois qu’un texte de loi tentait de définir juridiquement une secte alors que la loi de séparation des Églises et de l’État et la Constitution française garantissaient jusqu’alors la neutralité religieuse de l’État qui s’interdisait de faire la distinction entre les bons cultes (les religions) et les mauvais cultes (les sectes). La définition, rédigée en termes vagues, autorisera tous les abus.
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Pour aggraver la mesure de dissolution, la Commission des lois a redéfini la notion de personne morale susceptible d’être frappée d’une telle mesure. Elle a indiqué que « sont considérées comme une même personne morale les personnes morales juridiquement distinctes en raison notamment des lieux où elles ont leur siège et des secteurs géographiques dans lesquels elles exercent leurs activités, mais qui, par leur dénomination ou leur statut, poursuivent le même objectif et sont unies dans une communauté d’intérêt ». En clair, si deux condamnations sont prononcées contre d’une part le dirigeant d’une association de Témoins de Jéhovah à Marseille, d’autre part contre l’association des Témoins de Jéhovah de Lille en tant que personne morale, c’est la dissolution de toutes les associations de Témoins de Jéhovah dans toute la France qui est possible !
Faut-il dissoudre les partis politiques ?
Cela signifie que des associations totalement indépendantes les unes des autres au point de vue juridique et au point de vue de leur fonctionnement pourraient être dissoutes, sans aucune condamnation à leur encontre, par le simple fait que deux condamnations auraient été prononcées contre les dirigeants d’autres associations ou contre d’autres associations juridiquement séparées.
Les condamnations n’ont même pas besoin d’avoir été prononcées pour des délits graves puisqu’une bonne partie du projet de loi consiste à étendre à des délits mineurs le champ des délits susceptibles d’être pris en compte dans la mesure de dissolution (tels le délit d’exercice illégal de la pharmacie qui peut être un délit tout à fait mineur lorsqu’il n’entraîne aucune conséquence grave, ou les manquements à certaines règles de sécurité dans les locaux associatifs).
On imagine aisément les ravages causés par cette mesure si elle était applicable aux partis politiques : une association qui collecte des fonds pour un parti et le parti lui-même pourraient être englobés dans la même personne morale puisqu’ils sont unis dans une communauté d’intérêts ! Et point n’est besoin de suivre étroitement l’actualité pour savoir que tous les partis ont à leur actif (plus exactement à leur passif) au moins deux condamnations prononcées contre des dirigeants locaux ou nationaux ou des dirigeants d’associations qui leur sont liées. Mais, bien sûr, les auteurs du projet de loi (qu’il s’agisse d’About, de Picard, Brard, Doligé, Tibéri ou de certains de leurs alliés politiques) ont pris la peine d’exclure explicitement les partis politiques de l’objet de la loi !
Avec ce projet de loi, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, les principes de la liberté d’association et de la liberté de culte disparaissent complètement, sans compter la règle de la personnalité des délits qui suppose que seul le coupable du délit c’est-à-dire celui qui a commis l’acte illégal soit condamné.
Sans parler du danger bien réel d’appliquer cette loi aux grandes religions ou, par extension, à tout groupe de pensée.
Un précédent fâcheux
Il y a d’ailleurs un précédent fâcheux dans l’histoire : en 1930, avait été créé en Italie, sous Mussolini, le délit de « plagio ». Son libellé était tout à fait similaire à celui de la proposition About-Picard : « Quiconque soumet une autre personne à son pouvoir de façon à la mettre dans un état complet de suggestion est puni par une peine de cinq à quinze années d’emprisonnement. » Initialement créé pour réprimer la propagande communiste il avait ensuite été utilisé contre des homosexuels et des prêtres jusqu’à ce que la cour constitutionnelle italienne décide de le supprimer.
Si la loi About-Picard est votée, la France sera ravalée au rang des pires dictatures, Celles qui prétendent, au nom de la raison d’État, de l’intérêt général ou de l’ordre public, s’immiscer dans les consciences.